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samedi 12 septembre 2020

Nicolas Rozier : "Dans une tribu, mes personnages seraient plutôt les totems"

Faction — Huile sur toile (2020) © Nicolas Rozier
Nicolas Rozier publie cette semaine D'Asphalte et de nuée (Ed. Incursion), un premier roman que j'ai eu le privilège de lire dès le début de l'été. Dans le sillage de cette lecture, un échange par correspondance s'est naturellement instauré avec l'auteur. Tout au long de l'été, à tête reposée, nous avons évoqué la naissance de sa double vocation de peintre et d'écrivain ou encore les événements fondateurs de son oeuvre picturale et littéraire pour, peu à peu, en venir bien sûr à la création de ce nouveau roman en tout point singulier.  

Zoé Balthus — Nous nous sommes rencontrés, il y a dix ans à la période de la parution de ton troisième livre Tombeau pour les rares (Ed. Corlevour), composé de vingt-sept portraits d’écrivains disparus que tu as peints sur toile à l’acrylique, chacun accompagné de son pendant textuel écrit par un des vingt-sept auteurs vivants que tu avais appelés à te rejoindre dans cette aventure. Elle avait également donné lieu à une exposition de tes toiles associée à la lecture de textes de ces défunts par les vivants, à la Halle Saint-Pierre, à Montmartre.

Comme Antonin Artaud et Unica Zürn qui figurent parmi ces vingt-sept rares, tu entretiens des liens puissants, inextricables entre le dessin, la peinture et la littérature que tu as affirmés en vérité aux yeux du monde dès ton premier recueil L’Espèce amicale (Ed. Fata Morgana). Mais d’évidence, il s’agit d’un enracinement ancien dont j’aimerais que tu me parles. Quand et comment les as-tu toi-même appréhendés ?

Nicolas Rozier — Mon intérêt pour le dessin et la peinture a précédé mon goût pour la lecture et l’écriture. Je dessinais pour ainsi dire « depuis toujours », comme les enfants jouent dans leur coin, sur toutes sortes de papiers récupérés. J’ai notamment en mémoire un papier de format carré, irrégulièrement ligné, qui se dépliait en éventail. Troué sur les côtés, on l’utilisait sur les modèles d’imprimantes de l’époque. Ma mère devait le rapporter du travail. Le dessin mécanique, le style standardisé propre à la bande-dessinée – dont j’admire par ailleurs la sûreté de traits - ne correspondait pas exactement à mes hantises graphiques mais j’ai commencé à manier le crayon en recopiant des personnages de Disney puis des super-héros. J’aimais aussi faire le portrait de mes proches, sans manières et assez vite. Au quotidien, mes dessins figuraient autant sinon plus sur mes cahiers de classe. J’y dessinais des copains, des têtes de prof., des inconnus repérés dans la cour ou dans la rue. Crayonnés le plus souvent au stylo bille, ces petits portraits plutôt burlesques s’imbriquaient dans un pêle-mêle de noms et de sigles. Lecteur intermittent, durant l’adolescence, de Mad Movies, l’Ecran fantastique et Starfix, je copiais des maquillages sanglants, des monstres de latex et reproduisais de courtes séquences de la série La Planète des singes ou du film Zombie dont j’avais vu, je ne sais comment, la première séquence. Je contribuais graphiquement à quelques fanzines du lycée. Le choc décisif a eu lieu en deux temps entre 1988 et 1989. En classe de première A3, j’étais, avec d’autres amis, en conflit ouvert avec notre professeur d’arts plastiques. Celle-ci s’entêtait à brider notre goût et notre élan pour les médiums dits « classiques » : dessin, peinture, sculpture. En matière de création, elle flattait les prétendues audaces dont les gadgets cyniques saturaient déjà la scène internationale de l’ « Art contemporain ». Ce découragement organisé et institutionnel, confirmé depuis, et systématiquement, par le relais de la moindre instance publique, me fit renoncer au principe même de « l’école d’art ». La découverte coup sur coup de deux œuvres allait enfoncer le clou de mon orientation et de mes prédilections artistiques. D’une part, le choc graphique, la morsure ligneuse de l’œuvre dessinée d’Egon Schiele. Un exposé d’élèves contenant quelques reproductions a mis le feu aux poudres. Aujourd’hui, surtout après l’exposition qui lui a été consacrée récemment à Paris avec Basquiat, l’œuvre de Schiele semble incontournable et connue dans le monde entier. En 1989, dans une ville de province, la découverte de ces dessins révélait simultanément qu’une telle force par le trait était possible et qu’un très jeune homme, mort à 28 ans, avait posé les bases d’un avenir du dessin qui restait à inventer. Une commotion de pure modernité émanait de la manière lacérée de ses nus. L’autre découverte, quasiment la même semaine, me sauta au visage rue du tambour à Reims. Dans cette petite rue perpendiculaire à la mairie se tenait la seule galerie d’art rémoise tenue par Winnie Du Moriez, une dame déjà très âgée qui fut la compagne de Othon Friesz, le grand peintre fauve. Une huile sur toile de Bengt Lindström occupait le pan de mur principal. L’écriture picturale du Suédois, brutale et tout en empâtements de couleurs rugissantes, me fascina immédiatement. Cette double découverte de Schiele et Lindström me révéla également ce que spécifiquement on entendait par « artiste » et « peintre », dans tout ce que cette acception pouvait laisser à sentir de gravité noble coupée du quotidien plombé. Mon premier carton peint à la glycéro et collé sur panneau date de cette époque. La gestation des premières tentatives, à l’écrit, est plus complexe. La poignée de livres, sur l’étagère de ma chambre d’enfance, a surtout laissé un souvenir de couvertures. Ces livres représentaient le projet de lire, je tournais autour, je les manipulais de temps en temps, les feuilletais, mais pendant longtemps, je ne suis pas parvenu à m’y mettre ou trop irrégulièrement. Leurs titres résonnent aujourd’hui : David Copperfield, La Flèche noire, L’Île au trésor, L’Archipel en feu. Bien avant la lecture, le cinéma a pris une place décisive durant mon adolescence. Je visionnais des films à grande cadence, surtout entre 17 et 19 ans. C’est de loin cette période qui a conditionné mon accès à la littérature. Les mots des personnages de films et le travail de l’image ont préparé le terrain aux premières lectures qui compteront vraiment. En quelque sorte, la diction, les manies, la tenue, le jeu des acteurs et des actrices ont avivé mon intérêt pour le maniement des mots. Une lecture forte a cependant précédé toutes les autres, celle du Voyage au bout de la nuit. Lu à 17 ans, l’effet de bourrasque sur 600 pages est resté un impact de référence, mais cette lecture impressionnante n’a pas suscité l’impulsion d’écrire. Je la dois de façon plus identifiable au Livre des fuites de JMG Le Clézio, lu quelques années plus tard, à l’âge de 21 ans. J’y découvrais pour la première fois, une écriture qui, par son art de raconter emprunt des beautés du poème en prose, déclenchait le désir d’écrire. Ce livre soulevait un matériau littéraire urbain et suburbain – vraiment coupé de l’atmosphère à charrette que j’associais abusivement à la littérature vieillotte, celle plus ou moins consciemment attachée pour moi aux très poussiéreux programmes scolaires. Dans Le Livre des fuites, des échos picturaux et cinématographiques convergeaient en puissance, des images fixes et des mouvements de travelling, tout en faisant la part belle au langage écrit. La grande qualité de ce livre tenait notamment à ce qu’il attestait en acte la possibilité d’une écriture au démarrage brusque, sans préambule, prélevée sur une expérience, une saisie directe et bouleversée du monde moderne. Avec quelque chose d’un renversement de ses éléments menaçants en un merveilleux adapté aux mots entrechoqués. J’aimais aussi cette allure à bords francs où les chapitres semblaient séparés par des précipices de sidération. La liberté élancée dont Le Livre des fuites offrait la démonstration, sa facture hybride où se conjuguaient le pictural, le sculptural, le filmique et le scripturaire, a stimulé mes premiers essais sur carnet. 

Tu rappelais avec le Tombeau pour les rares, mon attachement significatif à des créateurs connus pour leur double pratique, en évoquant Artaud ou Unica Zürn, (dans le cas d’Artaud, il faudrait ajouter l’acteur, le metteur en scène, le cinéaste) ; or, je n’ai réalisé qu’après avoir peint leur portrait que les 27 rares se distinguaient pour la plupart par cette double main de l’écriture et d’un art visuel ; Artaud, plus qu’aucun autre avec ses dessins-écrits et ses sorts, mais aussi Duprey avec ses sculptures sur métal ou Augérias avec ses peintures réalisées dans une grotte. Il faut craindre, je crois, d’établir à peu de frais des passerelles à tout prix entre le volet plastique et l’écriture. Il résulte en tout cas de la coexistence de plusieurs disciplines chez un même artiste une impression expansive, une extension et un épaississement du territoire imaginaire. Le jeu existant entre ses différentes pratiques, le rôle précis dévolu à chacune est trop fluctuant, selon les œuvres concernées, pour énoncer des généralités. S’il est hasardeux, et pour l’artiste au premier chef, de saisir les relations complexes qui unissent deux pratiques artistiques menées conjointement, il n’en demeure pas moins que cette cohabitation s’avère stimulante en ce qu’elle provoque un éclairage réciproque inédit. Les manières infinies ou limitées qu’elles ont de se ressembler font parfois oublier qu’elles restent indivisibles, du moins est-ce la manière dont s’imposent à moi les œuvres polyvalentes : elles forment un bloc dont j’aime à superposer et intriquer les plans. De la même façon, en ce qui concerne ma double pratique de la peinture et de l’écriture, je n’en prémédite pas les accointances, j’en observe la parenté de penchant. Je reviendrai sur cette hybridation très fertile des arts entre eux dans un texte en cours d’écriture, en m’attardant sur la période d’influence majeure qu’a été pour moi la décade courant de l’essor du punk à la chute du mur de Berlin. Si l’écrit et la peinture se sont imposés à moi, l’influence du cinéma et de la musique ont souvent constitué un vivier plus excitant et porteur que la littérature ou la peinture d’alors. Je dois beaucoup à cette époque et à ses crépuscules, réels ou fictifs, de fin de millénaire.

Zoé Balthus — Au milieu de tes rares au tombeau, trône tout de même Vincent Van Gogh qui, s’il a écrit des centaines de lettres, n’est pas considéré, à proprement parler, comme un écrivain ni un poète… je me demandais pourquoi tu avais voulu qu’un texte lui soit consacré dans cet ouvrage ? compte tenu de la place qu’il occupe dans ton panthéon de peintres, pourquoi ne pas l’avoir toi-même écrit ? Me revient, ici, à l’esprit le superbe roman Dans le ciel d’Octave Mirbeau inspiré par Van Gogh, j’aimerais beaucoup découvrir le grand peintre sous ta plume !

Nicolas Rozier — Si je n’ai pas écrit le Van Gogh dans le Tombeau pour les rares, c’est qu’il revenait aux écrivains invités de s’acquitter du volet textuel tandis que je me consacrais aux portraits dessinés. En revanche, j’ai depuis cette époque écrit deux romans et un troisième est en cours d’écriture où Van Gogh resurgit à des degrés divers ; des pages entières lui sont consacrées. Les récits m’ont offert les circonstances les plus propices pour aborder la modernité inépuisée de cette œuvre et l’exemplarité inouïe de son auteur. Il semble que, quelle que soit la narration qui m’occupe, Van Gogh doive apparaître comme une référence indépassable, l’homme emblématique d’une excellence et d’un ressourcement intarissable. Aussi est-ce peu dire que l’homme autant que l’artiste n’a jamais cessé de compter pour moi. La littérature et le mythe collectif à son propos ont beau lever une muraille qui intime le silence, rien n’exténue le moment où l’on se tourne vers lui, qu’il s’agisse de son visage, de sa silhouette, ou de l’une de ses œuvres, notamment de celles qui nous envoient une décharge de peintures oubliées telles que Les Wagons de train ou Les Chardons peints en Arles. Ces tableautins perdus aux angles morts du catalogue déclarent à grande force qu’ils se sont fait une spécialité de cette pureté à grands coups de couleurs. Mais le prodige au long cours vient de l’accord des œuvres avec une qualité qui a largement à voir avec la franchise et la gentillesse. Cette caractéristique humaine de Van Gogh parvient à rester à la crête d’une révulsion généreuse qui ne manque jamais une occasion de faire ses preuves, sans tomber à l’état de loque comme Lucien, le personnage inspiré de Van Gogh dans le roman de Mirbeau. Cette générosité concerne à peu près – et les toiles autant que les lettres en sont le programme – tous les domaines de la condition d’homme. Depuis un semestre, je lis tous les jours deux ou trois lettres du peintre. Cela tombe et tonne avec la sûreté de l’héroïsme sans témoin. Chaque problème humain – et les problèmes humains sur la route de Van Gogh ont la tournure du crève-cœur et la cadence du pilon – est passé au crible comme à l’instant même où il est vécu. Aucun problème n’est résolu : le manque d'argent, l’isolement auquel seule l’amitié intéressée donne l’alternative, reconnaissance refusée, la mauvaiseté ordinaire de tout le monde, la difficulté d’un tableau à faire, l’absence d’amour qui couronne le tout, mais, plus qu’une plainte, cette revue répétitive des souffrances agit dans les lettres comme une conjuration, une offensive menée de front avec celle des tableaux, dans une atmosphère de dignité et de droiture impossibles à contrefaire. C’est je crois ce timbre, sûr comme un prélèvement médullaire, d’offensive sobre dans la débandade, qui maintient Van Gogh si puissamment vivant dans les cœurs.

Zoé Balthus – Tu commences à pratiquer le dessin au crayon, au stylo bille, en copiant de façon spontanée, comme tout plasticien, les figures auxquelles tu es confronté dans ta prime jeunesse, mais l’inclination à la littérature plus tardive, va prendre, en quelque sorte, le dessus puisque tu choisiras d’orienter tes études supérieures vers les lettres plutôt que les arts plastiques. Tu évoques la puissante influence du cinéma et de la musique, d’évidence tu as l’âme d’un artiste mais il semble que tu n’oses pas affirmer ta nature, tu te brides, ou plutôt ton environnement ne t’encourage pas alors à t’engager sur cette voie. Pourtant, tout est profondément ancré, et secrètement, du moins je l’imagine, tu crées une œuvre à la fois picturale et littéraire. Ton rapport à la peinture à l’huile est compliqué, nous y reviendrons puisque tu as fini par dompter le matériau en mettant au jour près d’une trentaine de toiles. Comment se sont imposés l’acrylique et le pastel, par défaut ? Les mystérieuses figures, qui fondent ton œuvre picturale, ont-elles imposé le matériau, ou le matériau a-t-il orienté la forme de ta création ?

Nicolas Rozier — Ma famille n’a jamais entravé mes aspirations artistiques mais les références n’étaient pas à portée. J’ai mis du temps à trouver les lectures qui importent, les auteurs que j’espérais. Quand j’ai découvert le raffinement et l’acuité auxquels peuvent atteindre les textes de Villiers de l’Isle-Adam, d’Antonin Artaud ou de Julien Gracq, l’écriture m’a paru bien supérieure en finesse de maille pour cerner son objet ; je le pense toujours, mais il serait vain d’établir une hiérarchie où un art serait déclassé en regard d’un autre. La peinture, en ce qu’elle procède de son langage propre, ne peut être évaluée que sur son propre terrain. Durant cette époque où j’accédais aux grands textes, l’écriture se réduisait à un projet sourd cantonné à des proses de carnet, des impressions brèves, écrites d’une seule coulée, des descriptions, des états, des fureurs, des enthousiasmes, des restitutions d’atmosphère. Le langage d’éblouissement et commotion qui me taraudait n’a trouvé que tardivement l’exemple qui m’a encouragé à serrer mes brouillons dans la forme courte du poème. Ce double exemple fut celui de Roger Gilbert Lecomte et de Jacques Prevel. Je trouvai coup sur coup, sans nier un instant la singularité des deux œuvres, un prototype de poème auquel j’adhérais sans mesure. Ces poèmes en forme de rampe ou d’échafaud élançaient, plus que des motifs ou des sujets bien déterminés, une énergie fuselée et racée reconnaissable d’un poème à l’autre. Je n’ai jamais cessé d’aimer, je veux dire de reconnaître ces manières de cartouches usinées et d’orages bien coupés, l’élégance et le style suprême qui font leur signature. Les attributs expéditifs de « maudits » ou « d’écorchés » réduisant Lecomte et Prevel à leur vie âpre et écourtée, ne radotent qu’une incapacité à recevoir ce qu’ils ont forgé. En revanche, si la mention d’absolu fait presque immanquablement sourire à propos d’une œuvre littéraire, elle s’impose à la lecture de ces deux poètes. L’Absolu s’impose comme un label en filigrane de leurs vers. Ces œuvres m’ont donné des forces, ouvert un horizon et conforté dans mes intuitions de départ.

Une des lignes de basse majeures qui caractérisent mes propres hantises et mon goût pour l’humanité de ces poètes poindra dans le titre de mon premier recueil : l’Espèce amicale. La tentative de saisir une noblesse furtive, une majesté ténue, révélatrice de bonté. De la centaine de poèmes initiale écrits entre 25 et 30 ans, j’en triturais à fond ou du moins le croyais-je une cinquantaine ; il n’en reste que huit dans le livre d’artiste paru chez Fata Morgana.

Cette « espèce amicale », je la peignais et la dessinais aussi. Le visage et la tête furent prééminents dès mes premières peintures, d’autant qu’ils étaient à la confluence du cinéma, du dessin, de la peinture, de l’écriture et du vaste imaginaire de l’underground. J’ignore si tous les artistes débutent par la copie des visages qui les entourent ou s’exercent à dessiner d’après nature mais ces expérimentations marquèrent chez moi une orientation plus significative que le passage obligé par des gammes académiques. Mes premiers tableaux, certes largement nourris de mes découvertes du moment, c’est-à-dire, quasiment à la suite de Schiele et de Lindström, les néo-expressionnistes Baselitz et Kiefer, ne représentaient pas des personnes réelles, des identités déterminées ; ce furent d’emblée des personnages imaginés, nées sur la toile ou le papier. Je n’ai jamais dessiné ou peint d’après nature, mes figures ont toujours surgi d’un idéal ressassé, d’une synthèse statufiée de qualités éparses, et ce ressassement a engendré des manies et automatismes « anatomiques ».

Les « mystérieuses figures » dont tu parles ont très vite ressemblé à ce qu’elles sont toujours. Une morphologie s’est rapidement imposée avec ses récurrences, en une sorte de portrait-robot où prenait forme l’image du héros par excellence. Cette carrure qui revenait sans cesse, seule ou en groupe, cumulait les atours du vagabond, du héros, de l’acteur, du poète, du guerrier, elle s’accompagne toujours d’une certaine délicatesse de traits, d’une allure que certains qualifient d’androgyne. Cela vient peut-être de mon penchant à refaire, en situation solitaire ou collective, cette image de héros indissociable d’un air racé et juvénile. Car ces silhouettes parlent de groupe, de bande, voire de commando, elles parlent de ville, de quartier et surtout de ces espaces suburbains où j’ai grandi et que j’ai mêlé à ma culture populaire alors en effervescence. A ces visages composites se sont agrégés dès mes premières peintures des prestiges cinématographiques ou littéraires. S’il fallait n’en citer que quelques-uns : Montgomery Clift dans Une Place au soleil, Matt Dillon et Mickey Rourke dans Rusty James, Le personnage de Billy dans Kes de Ken Loach, Schborn dans Requiem des innocents de Calaferte, l’élève Toerless du roman de Musil, ou même Mick, le second en chef du Club des cinq, avec une prédilection pour l’outsider, l’anonyme, le matricule inconnu. L’aura de ces personnages contribuait à façonner les miens. J’aimais donner forme à ces visages neufs qui ne référaient qu’à eux-mêmes. Dans les premiers temps, j’acceptais assez mal le statut aventureux de ces personnages finalement très romanesques en leur donnant peut-être une raideur trop solennelle et impersonnelle. Je voulais en faire des emblèmes purs, des blocs d’énigmes. Depuis que le roman s’est imposé comme laboratoire d’écriture, non seulement j’accepte mais je tente d’accentuer la portée narrative de mes figures peintes.

Une part essentielle se dérobe pourtant quand j’essaie de définir ces figures dessinées. Ces personnages intégrés au décor d’un tableau, figurines que Van Gogh qualifie de « petit(s) spectre(s) noir(s) » naissent surtout du geste dessiné ; de ce bref tracé noueux à main levée, de cette lancée de traits et de lignes funambules, remettant en jeu, au gré du délié, du cassant ou de la crispation du poignet, un rapport de force entre la maîtrise et son contraire, la maladresse et ses grâces, les gestes voulus et les décrets du hasard. Et la figure ainsi suspendue à une réalisation hasardeuse où nulle procédure ni métier n’a jamais permis de la faire advenir avec certitude, devient à un moment donné l’espèce de réussite orgueilleuse, de victoire emportée sur le temps perdu, où apparaît une forme humanoïde mais surtout une tache réussie, le genre de tache exacte voulu par le peintre.

Durant les années 90, la difficulté à manier graphiquement la peinture à l’huile, autrement dit à tirer d’elle des lignes où le geste s'inscrit, m’a conduit à privilégier le dessin. Le stylo à bille, expérimenté au tournant des années 2000 est resté à ce jour un outil de prospection visuelle, d’études sur carnet. L’acrylique, préparée comme une encre très foncée, utilisée tel un goudron dont j’ai largement entrecroisé les filaments et nervures en réalisant des têtes et des visages sur papier (selon la technique que j’utiliserai sur toiles dans Tombeau pour les rares) m’a permis de mettre en place une grammaire de formes plus angulaires et géométriques en multipliant les séries de dessins, parfois 30 ou 40 par séance. Ce fut l’époque des têtes inclinées et schématiques dont l’ossature faciale se réduisait aux minces filets d’un coup de brosse rapide. Des centaines de regards graves naquirent de ces visages en rafale.

A tort ou à raison je me suis longtemps interdit la couleur sans autre motif qu’elle m’intimidait ou que je craignais de m’y perdre. Le pastel est devenu l’instrument graphique complet grâce auquel j’ai introduit la couleur dans mon travail. Les bâtons de pastel, que j’utilise depuis 2016, parce qu’ils tracent et colorient simultanément, sont à la confluence du dessin et de la peinture. Les 400 pastels réalisés récemment ont ouvert des filons distincts : la série Magnitka et ses paysages d’anticipation inspirés de la ville métallurgique de Magnitogorsk, ou la série Aristographie dont les portraits très accidentés où les bustes/visages sont comme enclavés dans des écrins sophistiqués aux lignes brisées ou autres trames d’éclats complexes. Ma reprise de la peinture à l’huile tend à unifier les tendances respectives de ces deux séries. J’ai retrouvé avec l’huile ou peut-être est-ce une des impulsions qui m’a reconduit à elle, le goût des scènes de tableaux, des figures très distinctes, au charme maussade de têtes peintes sous les régimes totalitaires, silhouettes inscrites dans un décor d’immeubles et de terrain vague de préférence, y compris si ces éléments de décor sont absents. Le massif d’influence, la rêverie de fond qui anime la série peinte au début de cette année 2020, je la dois à l’alliage des visions collectées dans mes pastels et des atmosphères créées dans mes romans (un inachevé, un publié en septembre, un en cours d’écriture). Ces atmosphères reposent sur des paysages aux composants récurrents : friches, terrains vagues, suburbs, zones et marges où semblent inscrite dans les bornes et les carcasses de débris le long des chemins défoncés, une aventure ajustée à ces lieux.  Pivots de ces atmosphères : des personnages hirsutes, jeunes ou moins jeunes, aux profils perdus d’artistes-contrebandiers figés dans la posture d’une guérilla que semble mener la totalité du paysage peint.

Ma reprise de la peinture à l’huile correspond aussi à un désir de présence plus physique de la couleur, de l’odeur et de l’aspect des pigments bitumeux, plus encore de cette brillance de plomb fondu, sculpturale, couleurs méchées en pleine pâte par le pinceau ou lamées par le couteau, gisant en plaques émaillées et coagulations fantasques audacieusement heurtées sur les lambeaux de palette. Ces palettes jetables, ces morceaux de carton luxueusement souillés sont si pleins de harangue que l’on voudrait les basculer tels quels sur la toile ou, du moins, trouver l’arrangement qui les mêleraient à la toile en cours. La peinture à l’huile, son prix suicidaire et, en conséquence, sa sortie du tube aux connotations hémorragiques, toute la tension afférente à la reine des peintures excite, en la rappelant, l’atmosphère d’interdit des premiers risques pris à l’huile. Ce retour aux tensions premières de l’atelier cagibi et du matériel hystérique correspond au mieux au travail des atmosphères suburbaines entamées dans mes premiers travaux vers l’âge de 17 ans. Déjà à l’époque, en 1989, je tenais pour ne rien déflorer sur la toile, à ne pas trop définir ou situer les scènes dont j’avais le désir.  Aujourd’hui, en 2020, quand je me souviens de mon petit local de garage, je me sens en liaison avec un Berlin perdu des années 80. Les scènes auxquelles je donne forme depuis ce retour à l’huile participent d’un ingrédient indémodable de cette époque. Un ingrédient, peut-être similaire à la découpure agressive où se trouvent encore encadrés, à des années de distance, les pistoleros de la création, en pleine période punk et new wave. Ils sont tellement nombreux, décollés qu’ils sont des affiches, des pochettes, et remontés de je ne sais quels bas-fonds électriques, ils tournent vers nous un regard si farouche que leurs places vacantes brûlent encore. Ces ombres épaisses et encore vivaces s’apparentent à des moulages ou des ombres portées dont mes figures sont une manière de remplissage zébré.

Zoé Balthus – Tu publies ces jours-ci en effet ton premier roman D’Asphalte et de nuée, que j’ai eu le privilège de lire au cours de l’été. Il entre en une extraordinaire résonance avec ta peinture. Il est tout aussi peuplé que tes pastels et tes toiles, où s’affirme ce penchant à explorer le groupe, puisqu’il y est question d’une bande de jeunes gens tenus captifs dans un étrange bagne clandestin, où ils se rencontrent, se racontent et s’allient pour s’en délivrer. Que représente ce groupe, cette tribu, et l’espèce amicale, titre de ton premier recueil de poésie (que je n’ai pas lu) en général, pour toi ?

A la lecture du roman, je me disais que l’écrit te donnait ici l’occasion de préciser les traits de tes silhouettes picturales, comme un zoom avant à la caméra, tu t’es rapproché, te situes au plus près et plonges au plus profond de tes créatures, tu vas révéler leurs formes, dévoiler leurs visages, fouiller leur histoire et pénétrer leur intérieur. Et là, tout n’est que ténèbres. Le roman est aussi sombre que tes toiles et tes dessins sont irisés et chatoyants. Mais aussi profond soit le noir, il semble ne pas pouvoir contenir la part de lumière qui émane de lui malgré lui, quand il est confronté à son pareil. 

Vignette obsédante - Pastel sur papier (2019)
© Nicolas Rozier
Nicolas Rozier — Le groupe, la bande, la faction, le commando, m’ont toujours attiré pour leur force d’évocation. Plus précisément les groupes restreints où subsistent les magnétismes individuels. Dans ces formations à trois, quatre ou cinq, la part de secret et de clandestinité tire du côté de l’enfance et de l’adolescence. Spontanément, la mention de bande lève pour moi une atmosphère de maquis occupé par des silhouettes furtives, des ombres verticales d’abord indiscernables et aux aguets. Dans ce tableau de présences debout côte à côte gronde en puissance une centrale d’aventure dont les membres du groupe sont les porteurs à haute tension. J’aime ce premier regard d’ensemble, cet instantané statufiant où, à la vision encore imprécise des jeunes profils, miroite une condition extrême : pauvres hères ou seigneurs, guerriers ou poètes, leur vêture de contrejour évoque tant les haillons que la cuirasse. Du reste, le schématisme des visages, le réseau bref de zébrures qui les fondent – je parle ici des peintures – tend à leur donner une manière de camouflage ou de heaume intégré.

En ce sens, les personnages de mon roman D’Asphalte et de nuée ressemblent peut-être aux silhouettes présentes dans mes dessins et mes peintures. Quant à dire précisément ce qu’ils représentent, c’est plus délicat. Dans une tribu, ils seraient plutôt les totems. Les peindre ou les raconter, c’est les charger, en activer les pouvoirs, la magie. Ces profils inventés ne peuvent atteindre à des contours finis, ils gardent l’allure décoiffée d’une étude, et surtout cette plasticité propre aux personnages de fiction.  Leur traitement schématique joue en faveur de leur grandeur, de leur aptitude à élever leur exception au stéréotype d’un nouveau genre. Quel que soit le soin avec lequel je définis une figure peinte ou un personnage de fiction, j’aime sa part vague et lacunaire. Si l’on veut : le sillage de néant dont ils viennent, l’aura de leur statut fictif. A propos de mes personnages, je ne peux parler que du désir ou de la nécessité imaginaire qui les enfante. Je crois qu’en dessin, en peinture ou en roman, je me tiens avant tout compagnie, je m’offre une compagnie inédite. Dans le même mouvement, je choisis les traits de ces compagnons, de ce voisinage qui fait corps avec tout ce qui m’importe. Ils représentent une continuité, une extension et un rassemblement de facettes amicales et combattives que j’admire ; ce sont alors les portraits d’une immédiate reconnaissance que je m’efforce d’ériger. Quant à savoir ce que cette entité représente, seule ou à plusieurs, une fiche sommaire permet en partie de cerner ce en quoi figures peintes et « héros de papier » se ressemblent : une condition de vagabond sans arrière, d’isolé ou de marginal, une liberté de naufragé, la pratique d’un art, l’occupation d’un territoire désaxé de la civilisation. Mais la dimension porteuse et stimulante de ces personnages tient plus sûrement à un critère distinctif plus fuyant qui a partie liée au charme du caractère, de la personnalité, du style. Disons à leur rayonnement pour reprendre ton image ; un héroïsme insaisissable, une vocation purement altière, presque minérale, d’exemplarité, qui les abouche avec la gravité des statues, y compris dans le roman.

En l’espèce, je ne voudrais pas que l’on se méprenne à la vision des œuvres ou à la lecture de mon roman sur le type d’humanité véhiculé par mes personnages/figures. Quand tu opposes mes dessins et mes toiles, où règne les couleurs vives, à mon roman que tu qualifies de « sombre », l’adjectif me gêne car l’on pourrait y entendre sa connotation lugubre, et la complaisance glauque que cela supposerait. Sombre au sens d’une lumière basse durant sa pente horrifique, peut-être, oui. Je crois plutôt que la similitude possible entre mes peintures et mon roman repose sur le sens des contrastes, des heurts et d’une imagerie accidentée. Je m’efforce en tout cas d’y mettre le même genre de vigueur graphique. D’autre part, les ténèbres qui enveloppent et assaillent mes personnages ne les constituent en rien. Lorsque tu évoques l’atmosphère du roman, disons sa « pente », et le tour ténébreux pris par certains événements, tu ne saurais trop insister sur ce reflux lumineux à même l’obscur, il l’emporte de loin. Certes mes personnages affrontent les ténèbres, mais ils n’en sont ni les porteurs, ni les relais, et s’ils viennent parfois à s’en repaître, à en prélever certaines saveurs, à faire durer certaines navigations en eaux troubles, c’est qu’ils se conduisent fondamentalement comme des vitalistes, des artistes de la vie, des êtres solaires aux prises avec le pire. Ils transmuent violemment toute adversité. C’est en tout cas la tendance et la trempe majoritaire de ce groupe. Les tempéraments et les profils divergent, mais ils ont en commun un air de famille distingué par une poigne et un panache largement au-dessus de la moyenne.

Zoé Balthus — L’atmosphère sombre, viciée, horrifique, oui, de Narwik, première partie du roman qui en compte deux, m’a parfois rappelée les bas-fonds de quelque conte de Dickens... Narwik, nom de ce mystérieux bagne d’enfants où s’exerce la cruauté d’un maître invisible.  Six jeunes gens, hauts en couleurs eux, aux prénoms, aux origines étranges, en sont les prisonniers. A la faveur des affinités, des intérêts, des nécessités, des résistances, ces jeunes gens vont s’allier et composer un commando. Tous très jeunes, le plus âgé a 16 ans, ils sont eux-mêmes pour la plupart issus de milieux glauques ou ont déjà vécu des histoires violentes, sordides au moins psychologiquement, qui ont forgé leur trempe, façonné leur appréhension du monde et cela participe aussi de leur maturité et de leur capacité à endurer les sévices, surmonter la peur, survivre à l’horreur, et bien sûr à réussir leur propre libération. Ce sont donc les héros de ce roman. Ils ne s’en sortent pas indemnes, le mal a meurtri leur chair mais a aussi souillé leur âme, contrairement à ce que tu dis, ils ont eux-mêmes basculé. D’ailleurs, ils n’ont plus leur âge, ne s’expriment et ne comportent plus comme des adolescents, ils sont abîmés, ont désormais, eux-mêmes, du sang sur les mains. Comment peux-tu dire et croire qu’ils ne sont pas porteurs de ténèbres ? Les liens noués entre eux sont puissants face au danger commun qui les guettent mais quand le bonheur se pointe pour certains, l’animosité des autres affleure vite, l’amitié bien fragile… ils ne sont pas si solaires que ça, ils brillent d’une lumière noire. Ils vivent en communauté, d’apparente confraternité, mais ils sont tous en vérité terriblement seuls, sans espoir, pleins de souffrance enfouie qu’ils ne se livrent jamais vraiment. Ils vivent, à l’arrivée au Hameau, seconde partie du roman, une période lumineuse presque féérique de béatitude. Peu à peu, la luminosité gagne du terrain, puis enfin elle est éblouissante mais ultra-brève aussi, le désenchantement ne tarde pas, Narwik les infeste à jamais. Mais n’est-ce pas l’épouvantable lot de tous les survivants, pour avoir affronté le pire dont l’humain est capable plus que le meilleur, de l’avoir subi jusque dans sa chair ?

Nicolas Rozier – Si je me suis récrié à propos des ténèbres dans lesquels auraient sombré, selon toi, les personnages du roman, c’est que je peine à associer ce mot aux personnages. Une sévère chape de ténèbres leur tombe bel et bien dessus et elle fait suite à un passé que je ne détaille pas mais dont je laisse entendre qu’il était rude, avec le lot d’abandon et de vie à la rue que suppose l’enfance malheureuse. A ce titre, la donne des personnages, leur condition est enveloppée de ténèbres. Quant aux personnages eux-mêmes, je serai beaucoup plus nuancé. L’espèce de croissance d’un personnage de fiction est au croisement de tant de facettes distinctes ou souterraines que je ne pourrais pas prétendre, par exemple, qualifier fermement ce qu’ils sont ou ce qu’ils valent. C’est mon attachement à eux qui les fonde ; le modelage est émotionnel et non basé sur un réglage préétabli. Je suis certes parti d’un désir de personnages conforme à cet idéal également présent dans mes figures dessinées, mais cet « idéal » si on peut le qualifier tel, est confronté dans le roman à des finesses d’aspérités qui tolèrent mal la généralisation, qu’elles soient solaires ou ténébreuses. Ce côté Janus des personnages-oxymore est sûrement à l’œuvre en chacun des membres du groupe, à divers degrés, mais ce qui met en marche ce commando de jeunes martyrs, et donc les forces motrices du roman, relève avant tout d’un goût de vivre fanatique. Et si les personnages sont suspendus à un vide, talonnés qu’ils sont par le mal, c’est le grand vide d’un amour sans objet. Tous ils sont tournés vers l’avenir de cet amour qui prendra diverses formes et connaîtra des fortunes différentes selon les personnages. Les dissensions amicales ne m’apparaissent pas comme des signes révélateurs des personnages enclins à je ne sais quelle déloyauté, elles découlent bien plutôt du relief accidenté d’un climat passionnel. De même, lorsque tu parles de souillures à propos d’actes que le groupe viendra à commettre, je n’en perçois que l’énergie, y compris dans l’expression de leur désir, et le courage. Le seul jugement qui pèse pour moi sur les actes de mes personnages est celui de l’efficacité d’un élément de panoplie. Il leur faut des actes seyants. Lorsque tu parles de souillure, je pense à Detlef. Parmi les jeunes héros, il est de loin le plus marginal de tous, au point de sembler d’une autre espèce : le plus mutique, le plus blessé, le plus violent, le plus dangereux, le plus inconnaissable. Il ne semble, précisément, que modelé dans l’obscur, sa part d’ombre le constitue intégralement. Jusqu’à son visage grêlé, tout le signale à l’impur, au bestial et à l’impitoyable. Guerrier protecteur du groupe, personne ne sera jamais complètement rassuré en sa présence. Et pourtant, je crois qu’il ne cesse, du début à la fin, d’être le héros véritable de cette équipée. Detlef me paraît exemplaire de cette noblesse indéchiffrable que j’ai voulu distribuer de façon variable à mes jeunes personnages. Dans le même sens, quand tu dis que les héros du roman basculent après l’horreur de Narwik, c’est indéniable, mais je voudrais préciser la nature de cette bascule. L’analyse des traumas les plus graves, des lésions et de la résilience n’est pas au programme du roman et n’entre pas dans mes compétences. Pour Nols et les autres, la brisure et les dommages sont tels qu’ils autorisent (et imposent) ce léger décrochement d’avec les coordonnées du réel. Les personnages obtiennent, avec leurs blessures irrémédiables, un blanc-seing pour la vie extrême. Cette bascule est donc plutôt une rampe qui va les propulser, les lancer dans un rythme de sursis effréné.

Zoé Balthus — Par ailleurs, j’aimerais que tu m’expliques le parti que tu prends pour baptiser tes personnages de prénoms qui affirment d’emblée l’entrée dans un univers singulier, aux confins du conte fantastique mêlé de légendes nordiques. D’où viennent-ils, où puisent-ils leur racine ? Certains évoquent les terres vikings, l’un des garçons, Svercker vient d’ailleurs d’Islande, son prénom est suédois, Narwik est une ville norvégienne, d’autres ont des consonances plus germaniques, comme Nettie, Siger, Henning, Detlef (me rappelle seulement le pseudonyme utilisé Walter Benjamin, Detlef Holz, mais c’est le seul point commun avec ton personnage), ou encore celui du narrateur Nols qui s’exprime à la première personne. Lupasco, le frère de Nettie, est-il un clin d’œil au philosophe d’origine roumaine ? Certains hommes qu’ils vont croiser puisent aussi à l’évocation germanique comme le capo Klaus, l’ermite Henkel, quant aux femmes, elles, convoquent plutôt l’Italie, comme les trois sœurs Gina, Chiara et Monica. Rosalba Stebel, personnage ambigu, est dotée d’une identité mixte, comme celle du maître invisible.

Nicolas Rozier — Je préfère embrumer autant que possible l’horizon dont viennent mes personnages, mais il ne s’agit pas des spectres d’une jeune garde refluée du Valhalla. Les maigres indications assorties d’allusions catastrophiques sur leur passé tendent à lever un arrière-plan de limbes suffisamment épiques. Ils sont fondamentalement déracinés et en quête plus ou moins consciente d’une implantation véritable, voire d’une incorporation à un territoire, c’est d’ailleurs l’une des quêtes majeures du groupe dans mon roman. J’accorde un soin particulier aux noms de mes personnages parce qu’ils sont des piliers qui dépassent de loin la simple nomination ou l’étiquetage identitaire. Je suis d’accord avec toi pour reconnaître que ce double filon du conte fantastique et de la légende nordique affleure dans ces choix de noms. Il est évident que certains d’entre eux sonnent comme des stéréotypes et des allusions à un fonds littéraire et cinématographique. Klaus évoque instantanément quelque serviteur lugubre surgi de la tradition du roman gothique ou des films d’épouvante. Svercker, l’Islandais recueilli sur la côte, et le nom du bagne, Narwik, évoquent sourdement l’époque reculée des invasions vikings et des rivages hostiles. Le nom de Siger vient du film Aliens, le retour de James Cameron, en l’occurrence d’un soldat féminin du commando de marines. Les trois sœurs Chiara, Gina et Monica, quant à elles, viennent des beautés sulfureuses du Giallo - elles en possèdent les attributs de fleurs écloses dans une serre criminelle -, ainsi que Rosalba Strebel dont j’ai saisi au vol le nom au milieu d’un générique de film, encore un Giallo, mais dont le titre m’échappe, peut-être Mais… qu’avez-vous fait à Solange ? Detlef, lui, ne se réfère pas à Walter Benjamin. Je voulais, pour ce personnage, un nom sec, osseux, presque anonyme, de paria slave. Car si les noms des héros fonctionnent aussi comme des antennes relais dans le circuit des influences, (ainsi le nom de Lupasco, dans mon roman, vient-il de Lubresco dans Requiem des innocents de Louis Calaferte), je choisis surtout les noms de mes personnages pour leur sonorité (Gracq optait également pour ce critère de choix) et aussi pour leur aspect graphique. Je fais en sorte que les noms, de façon évocatrice, donnent au lecteur une avance sur les caractères et un surlignage de leurs traits distinctifs. Je tente en tout cas d’activer ce mécanisme d’unisson entre les noms et leur porteur. J’aime également ce procédé qui consiste à employer des noms sans prénom, ou des prénoms sans nom, en choisissant de préférence des mots courts, lapidaires, qui se répètent plus facilement, de surcroît sans ralentir le rythme de la narration. Un seul mot désigne alors chaque personnage, et cette unité par le nom unique en accentue l’aura monolithique, le magnétisme d’emblème ou de pièce d’échiquier : Le cavalier, Le fou… Les leviers de charme propres à l’onomastique sont trop nombreux pour être explorés de façon exhaustive, mais je suis particulièrement sensible au phénomène de prise entre le personnage et son nom. Le nom se « charge » au fil de l’évolution du personnage qu’il désigne. Enfin, pour revenir à la question de ma prédilection pour les noms anglo-saxons, articulés autour de consonnes dures, énergiques, raboteuses, notamment le [k], présent dans les exemples que tu cites : Svercker, Henkel, Klaus, cette tendance est sans doute à mettre sur le compte de mon goût - manifeste je crois aussi dans mes peintures - pour des silhouettes ou profils perdus aux allures cuirassées. Mes héros ne vont pas en armure, mais un composant métallique, une part ferreuse tend à les cabrer comme des étraves. Les personnages ambigus de Rosalba Strebel et du « maître de Narwik » sont en quelque sorte des figures sadiennes et des types issus du conte au croisement de l’ogre et de la sorcière. Je n’ai pas eu à batailler pour maintenir cette tension ambiguë qui les caractérise, les orientations intimes qui les fondent restent des aberrations insaisissables. Le personnage de Rosalba reste le plus impénétrable, sa sophistication touche au paroxysme. Rien ne peut être soustrait par contradictions, dans ses actes, tout s’additionne dans une montée en puissance sans limites.

Zoé Balthus – Alors oui, en effet, je dois admettre avoir été totalement prise au dépourvu par la tournure que prennent les événements pour ces héros, tant ce que tu as imaginé pour eux relève parfois du merveilleux, du surnaturel ou de la féérie. Je ne t’attendais pas là ! Tu obliges le lecteur à abandonner certaines logiques, à se délester d’une partie de son monde rationnel et ses références d’adulte, alors même que tes héros ont dès le début perdu une part d’innocence dont l’adolescence est généralement porteuse, et endossent des rôles d’adultes qu’ils assument plus ou moins bien selon les cas et le contexte, en raison justement de résidus d’innocence persistants qui se trahissent notamment dans leur appréhension de l’autre et de leur soif d’amour un peu naïve. La richesse de ton vocabulaire, presque entêtante, au service d’une précision forcenée et pourtant impressionniste, rend le tout un peu désarçonnant. As-tu emmené tes personnages et ton récit là où tu le souhaitais ou bien sont-ce tes créatures qui ont fini par prendre les commandes ?

Nicolas Rozier — Je doute fort de pouvoir obliger le lecteur à se délester de ses références d’adulte, je ne m’en occupe tout simplement pas, sans avoir non plus l’intention de le dérouter gratuitement en lui faisant subir une volteface d’univers où ses repères auraient sauté. Pour hausser d’un cran la vie de mes personnages, je leur ai inventé des circonstances comme autant de rampes d’intensité. Si les repères d’un adulte n’ont pour moi pas plus de légitimité que les repères adolescents, j’élude en revanche tout ce qui forfait à un certain prisme à travers lequel les événements prennent leur tournure. Ce prisme doit plus au monde de l’enfance et de l’adolescence qu’à la vie adulte. Quant à la maturité rapide de mes héros, elle vient de la liberté subite à laquelle ils font face. Il y a du précipice, du vertige, de la griserie, et le désir s’y engouffre. Or, la poussée très inégale de ce désir chez les personnages ne met jamais en cause, il me semble, leur « innocence ». Le modelage de mes héros s’accomplit sans cette considération d’une innocence présupposée, comme donnée de naissance et vouée à périr au fil des expériences. L’innocence est d’ailleurs un mot un peu trop grand, comme d’une taille ou d’une coupe qui ne convient à personne. Il s’applique en tout cas assez mal à mes personnages. Je lui préférerais en ce cas le mot de pureté. Cœurs labourés peut-être mais cœurs purs sûrement, du moins ai-je gardé de leur compagnie – elle dure toujours – l’impression de suivre une collection de cœurs purs. D’autre part, mes personnages n’endossent jamais un rôle d’adulte et demeurent, dans les actions les plus graves des jeunes gens, certes parfois aux prises avec certains problèmes adultes. Ils évoluent dans une atmosphère de camp improvisé et de débrouillardise. L’expérience qui les rapprochera le plus de la vie adulte, ce sera l’épisode de l’ennui et des discordes qu’il suppose. A l’exception de cette épisode, donné comme un avant-goût, pour eux étranger, de la vie adulte, leur intensité individuelle et collective contribue à la propagation, au virement de l’atmosphère en une suite de phénomènes relevant du fantastique. Il sourd puis déferle à l’unisson de la vie intensifiée voulue par les personnages. Le milieu devient féérique par inflammation des caractères. Tu parles de « naïveté amoureuse », je ne voudrais pas que l’on imagine quelque bluette insérée dans l’intrigue, les expériences amoureuses, si différentes qu’elles soient, ont en commun le détraquement et le déphasage, peut-être les détresses afférentes. Le seul « naïf » est en quelque sorte une victime consentante, j’allais dire littéraire, des affres sentimentales ; l’amant transi auquel tu fais allusion, j’en fais un tremplin burlesque. Tu parles de richesse de vocabulaire « presque entêtante » et surtout de « précision forcenée » et « impressionniste », ce serait presque pour moi, à l’abord d’un texte, une promesse de félicité, mais je sens poindre un rejet dans ce compliment tout en oxymores. Il est des fractures dans le goût qu’on a ou pas d’une écriture, qui ne se réduisent pas. J’ai mis dans ce texte tout le soin dont j’étais capable. De l’auteur et des personnages, l’entraînement est réciproque. Le départ en trombe, dans d’Asphalte et de nuée, est venu de mon attachement profond et immédiat au groupe et à son rythme. Il est évident pour moi qu’une cohabitation de plusieurs mois avec des personnages tend à leur donner une forme d’existence. Durant l’invention, je parlais à mes proches des personnages, je les appelais par leur nom, et ils me demandaient de leurs nouvelles. Le cas de figure où les personnages prendraient les commandes survient peut-être à l’occasion de glissements extrêmement furtifs dans le processus de création, je n’en sais rien, je m’escrime à trouver des solutions sans regarder en arrière.

Zoé BalthusNon, non, nulle bluette sous-entendue. Ni rejet du foisonnement, il y a dans ton écriture une densité nerveuse qui ne se calme jamais et fait bel et bien ton style, c’est suffisamment rare pour être relevé. La plus grande justesse est recherchée à chaque mot, pesé avec rigueur. Comme ton écriture, ta lecture est exigeante. J’ai lu ton roman lentement.  Le narrateur ne manque pas de style non plus, Nols qui, -— comme chacun de ses compagnons d’aventure dans le hameau abandonné qu’ils « squattent » s’épanouit à sa façon —, s’adonne spontanément au dessin. Est-ce parce qu’il dit « je » que tu lui as accordé ce talent ? Son plus proche compagnon, Lupasco, d’ailleurs lui trouve à s’exprimer dans l’écriture (sourire) … Et enfin, pourquoi avoir si peu exploré la cruauté du maître invisible et de ses sbires qui composent pourtant eux-mêmes un groupe intéressant, la clique des forces du mal … dont finalement nous ne saurons rien ?

Nicolas Rozier — Mes personnages présentent une raideur de monolithe ou de statue. Ce côté effigie et emblème tend à les écarter de la fatalité des fonctions. Leur statut de figures surgies du brouillard, coupées de racines ou dont les origines restent vagues, en font des anomalies et des exceptions. Ils ne sont pas même frappés d’une allergie au salaire et à la profession, ce cauchemar esclavagiste n’est pour eux qu’un lointain et grouillant décor. Quand j’attribue le dessin à Nols et l’écriture à Lupasco, ce n’est pas pour en faire à peu de frais des prodiges ou des surdoués en trombe. Ils n’entrent pas solennellement en peinture ou en écriture, ils se spécialisent pour ne pas sombrer dans l’ennui. Tu as raison de dire que Nols s’adonne spontanément au dessin, mais il porte un regard sidéré sur ses œuvres, il ne les voit pas vraiment lui-même, il lui faudra un regard extérieur pour en relever l’impact. Les pratiques artistiques entamées au hameau représentent un complément machinal au fait, naturel, de respirer, plus qu’une vocation où se célèbrent à voix basse et admirative les avènements d’artistes. A différents degrés, les protagonistes sont tous des artistes ou plutôt des maniaques à qui je mets un art entre les mains. Dans l’impulsion qui mène à l’écriture ou à la peinture, plus encore dans le processus de création, ses résultats et sa réception, le potentiel dramatique est considérable. J’aime mettre en jeu et en scène cet explosif émotionnel où l’instabilité, le numéro d’équilibriste auquel s’expose celui qui entreprend de créer, accuse son relief de personnage. Le voilà pris dans cet étau du loufoque et du grave où le place l’acte de création. Je ponctionne bien sûr dans ma propre expérience du dessin et de l’écriture, et les portraits de ces débutants en art sont aussi l’occasion de mettre en perspective quelques aspects – manies, préférences, hantises - de cette étrange fabrique à beauté où s’absorbent le peintre et l’écrivain. Quant à l’organisation criminelle dirigée par le maître de Narwik, j’ai préféré la laisser dans la pénombre, la cantonner à la série de notations où elle garde son aura menaçante, son omniprésence sans visage et son origine inconnue. Ce choix repose également sur l’efficacité sinistre du crime sadique sans mobile. Le déferlement des cruautés endurées ne devait pas être assourdi et tempéré par une amorce de familiarité avec les bourreaux.

jeudi 23 mai 2019

Corinne Atlan : De la nouvelle ère nippone 令和 ou la subtilité d'un monde

Arashiyama, Kyôto (c) Zoé Balthus

Traductrice, essayiste et romancière, 
elle vit depuis plusieurs décennies dans la culture du Japon dont elle est une éminente spécialiste, Corinne Atlan a traduit une soixantaine d'oeuvres japonaises, dont une majorité de romans (Haruki Murakami, Ryû Murakami, Yasushi Inoue, Fumiko Hayashi) mais aussi du théâtre et de la poésie. L'auteure vient de publier Un Automne à Kyôto (Albin Michel), essai intimiste dans lequel elle invite à la flânerie au cœur de l'ancienne capitale nippone, propice à d'introspectives réflexions sur cette société et sa culture qu'elle explore en profondeur, dans toute la subtilité de la langue. Elle a accepté de parler ici de son œuvre et bien sûr de son métier de traductrice, à commencer par l'exigence de son travail de transmission qui s'illustre opportunément dans une mise au point cruciale de sémantique.

Zoé Balthus : Après trente ans de l’ère Heisei (1989 - 2019) le Japon est entré le 1er mai dans l’ère 令和" ou Reiwa, formule qui a été traduite dans la presse internationale par Belle Harmonie. Comment traduis-tu Reiwa ?

Corinne Atlan : Il s’agit seulement de deux caractères, mais ils condensent toute la question de la traduction et de l’ambiguïté inhérente au japonais. Si tu poses la question à dix traducteurs, tu obtiendras dix traductions différentes. Il y a un côté subjectif dans la traduction : aucune n’est totalement satisfaisante parce que, par essence, elle ne peut être tout à fait conforme à l’original. 

Pour ma part, je traduirais Harmonie Ordonnée. ", Wa, c’est l’harmonie. Et c’est aussi le Yamato, le nom du premier Etat japonais. Le Japon est bien cet « empire de l’harmonie » (titre d’un petit livre que l’ai publié aux éditions Nevicata en 2016), dont l’harmonie obligatoire peut aussi se révéler pesante.  Le premier caractère, Rei, est plus compliqué à traduire. C’est un caractère à double sens, en fait.  Officiellement, il est tiré d’un poème du Manyoshu, la plus ancienne anthologie poétique du Japon, et a le sens d’agréable, doux. Mais selon moi, traduire simplement Reiwa par Belle Harmonie ou encore Excellente Harmonie, est une traduction « politiquement correcte ». Elle omet tout double sens. Or ici, il y a une allusion perceptible par tous les Japonais. Beaucoup de choses fonctionnent ainsi au Japon : il y a Omote, l’endroit, et Ura, l’envers. Et l’envers a souvent plus d’importance que l’endroit... 

Pour en revenir au sens du caractère, effectivement, en poésie classique, il veut dire « doux, agréable ». On le trouve aujourd’hui encore dans certaines expressions où, placé devant un autre mot, il signifie honorable, agréable etc., cependant on ne peut exclure le fait qu’il signifie aussi ordre, commandement. Ce n’est pas forcément antinomique puisqu’autrefois un ordre émanant de l’empereur, considéré comme une divinité, ne pouvait être que parfait par essence, et bénéfique aux sujets rassemblés sous sa bienveillante puissance. Seulement, le Manyoshu, l’anthologie à laquelle le choix de ce caractère fait référence, date d’une époque où il faisait sans doute bon vivre si on appartenait à l’aristocratie, impériale ou guerrière, mais si on faisait partie du peuple, de la paysannerie, c’était certainement tout autre chose.

Il est notable aussi que cette expression particulière, puisée dans le Manyoshu, provienne directement du monde nippon alors que jusque-là, les noms d’ère se référaient au monde chinois. Disons que c’est un retour aux sources japonaises, avec une certaine résonance nationaliste.

Le Japon vit aujourd’hui sous le gouvernement nationaliste d’Abe, bien évidemment favorable à l’application stricte de la loi et l’ordre. Tous les amis japonais que j’ai interrogés perçoivent l’idée de commandement, dans le Rei de Reiwa. Et ça leur fait un peu froid dans le dos.  Mais d’autres préfèrent n’entendre que le sens de la douceur…

En tant que traductrice, je ne peux pas choisir uniquement le côté agréable de la version officielle, il faut aussi faire entendre le revers, Ura : « attention, tout le monde doit marcher comme un seul homme ». Dans ordonnée, avec un O majuscule, j’entends le double sens comme en japonais, c’est à la fois beau, harmonieux et sévère. Ordre et beauté au sens baudelairien en quelque sorte. Voilà pourquoi j’ai proposé cette traduction quand Rafaële Brillaud m’a interrogée pour le journal Libération. 

J’ai vu aussi passer dans la presse la traduction Vénérable Harmonie, c’est à mon sens une bonne traduction, qui témoigne d’une certaine recherche car on entend à la fois le sens « officiel » et en filigrane la notion d’ordre ou du moins d’obéissance avec le verbe vénérer.

Le comité de sages qui a choisi le nom de la nouvelle ère ne peut pas ignorer que, quel que soit le sens classique de Rei - et les Japonais d’aujourd’hui sont beaucoup moins imprégnés de culture classique que les générations précédentes -  le kanji , visuellement, montre une personne qui se prosterne sous un « toit » (le pouvoir) qui rassemble et protège les sujets de l’empire. Ce toit peut être écrasant aussi, il y a là une véritable ambivalence. Au Japon, on n’est pas dans l’abstraction de l’alphabet, l’écrit a une dimension visuelle que trop souvent les traducteurs ne prennent pas du tout en compte.

Le nom choisi pour une nouvelle ère est censé évoquer la tendance, la direction que l’Etat entend donner à l’avenir du pays pendant la durée de cette ère, et le fait est que Reiwa a une connotation un peu autoritaire derrière la douceur apparente. 

Arashiyama, Kyôto (c) Zoé Balthus

Zoé Balthus : On entend bien, grâce à ton éclairage, aussi oui : marchons au pas tous ensemble. C’est intéressant ce que tu dis de l’abstraction de notre alphabet et de l’image, du dessin dans l’idéogramme. Nos conceptions semblent diamétralement opposées. Comment Japonais et Occidentaux s'appréhendent-ils ? 

Corinne Atlan :  Au Japon, il existe une véritable double culture : les Japonais ont intégré nombre de concepts occidentaux ou américains, tout en gardant la spécificité de leur culture et de leurs traditions. Ce contraste explique en partie la fascination des occidentaux pour ce pays : un pays dont les références modernes ressemblent à première vue aux nôtres, pourtant très vite on se sent « sur une autre planète » (j’entends régulièrement cette expression à propos du Japon). C’est certain, les Japonais partagent nos références ou les connaissent, ils ont lu et étudié des livres français, russes, américains (traduits en japonais bien sûr) à l’école, ont vu les mêmes films que nous. Mais à l’inverse, il y a une grande méconnaissance de la culture japonaise en France, en dépit de la fascination qu’elle exerce. Beaucoup de gens vont dire qu’ils adorent Haruki Murakami, que le Japon les fascine. Mais que savent-ils réellement de la culture de ce pays, quels autres auteurs connaissent-ils ? La France me semble un pays très ethno-centré, l’intérêt pour la culture de l’autre est souvent teinté d’exotisme : on est fasciné, mais on part toujours de soi, on ne remet jamais en question ses propres valeurs. Ainsi, beaucoup de gens s’intéressent à la littérature japonaise mais le plus souvent sans se poser la question de la langue d’origine. D’où nous vient cette œuvre, de quelle culture, de quelle Histoire ? Il faut se poser la question, pour comprendre vraiment le texte.

Je pense par exemple à Jets de poèmes, dans le vif de Fukushima (Pop&Psy, Eres) de Wagô Ryoichi, une poésie « à vif » pourrait-on dire, écrite pendant la catastrophe même et diffusée initialement sur Twitter. Ces poèmes m’ont vraiment touchée et j’ai eu à cœur de les traduire et les transmettre avec toutes ces ambiguïtés propres au japonais, cette polysémie, ce jaillissement de la parole avec des sons presque « primitifs », des cris, des onomatopées. Un langage non intellectualisé, au plus près du ressenti. C’était vraiment important de faire passer ces aspects-là dans ma traduction. Certaines choses sont compliquées à transposer dans une autre langue, mais c’est justement ce qui est intéressant pour un traducteur. Et la poésie est un champ privilégié pour travailler sur ces questions.

Zoé Balthus : Justement je voulais parler aussi de ça avec toi, la transition est toute trouvée. Dans ton essai paru l’an dernier Un Automne à Kyoto, tu racontes un échange avec un vieux monsieur japonais auquel tu déclarais que « tout est traduisible », quand il soutenait le contraire. Tu n’as pas souhaité poursuivre le débat sur ce point parce que traduire n’était pas le métier de ce monsieur, et tu ne t’y es pas étendu, ce n’était pas le propos de ton livre. Mais j’aimerais que l’on en parle ici…

Corinne Atlan : Ah oui, tout à fait. Ce monsieur, instinctivement, considérait le haïku comme intraduisible. C’est une forme poétique ancienne et profondément japonaise, ce qui la rendrait intraduisible, c'est une opinion répandue au Japon, une réflexion que j’entends souvent. Mais pour un traducteur, tout texte est traduisible, quelles que soient les difficultés qu’il pose. En revanche, une fois qu’un texte est traduit, les gens ne se rendent pas compte du travail accompli pour le restituer dans une autre langue. C’est le cas notamment pour les traductions du japonais vers le français. Sur Internet, par exemple, même des sites spécialistes de littérature japonaise citent des extraits sans mentionner le nom du traducteur, cela me choque toujours. « Le texte d’untel est formidable ! ». J’ai envie de dire : « bon d’accord, je suis contente que cela vous plaise mais cela n’a pas été rédigé directement en français. Derrière ce que vous lisez, il y a un traducteur, qui a transposé le style, le sens, pour vous permettre de comprendre et d’apprécier ce texte. Alors saluez aussi le travail de celui qui a écrit ce texte en français, et qui a peut-être même découvert cet auteur dans la langue originale, et pensé qu’il pourrait toucher votre sensibilité. Citer son nom me semble la moindre des choses. » Oublier le nom, voire l’existence, du traducteur, c’est très français. Les Japonais sont beaucoup plus attentifs à ces questions de traduction, sans doute parce qu’ils ont beaucoup nourri leur culture d’influences étrangères, et sont conscients du rôle crucial de la traduction. 

Dans nombre de pays, le traducteur a une importance reconnue, au Japon notamment mais aussi dans certains pays occidentaux. J’ai à ce propos une petite anecdote : j’ai été invitée il y a quelques mois à parler de traduction aux Rencontres Hivernales du documentaire de Grignan, à l’occasion de la projection d’un film qui traitait de ce thème. Un très joli film, intitulé Dreaming Murakami, qui abonde en références à l’univers de Haruki Murakami, mais se concentre surtout sur Mette Holm, sa traductrice danoise, son métier, sa passion pour la transmission de cet auteur au Danemark. J’ai été stupéfaite par une scène du film où l’éditeur la consulte à propos de la couverture qu’il a choisi pour le livre à paraître, et où elle lui répond : « non, franchement, ça ne me plaît pas du tout, et je ne pense pas que ça plairait à Murakami ». Et l’éditeur danois de répondre : « ah, vous croyez ? Bon, on va réfléchir et trouver autre chose… »  C’est inimaginable en France. 

Corinne Atlan (c) Didier Atlani
Penser au traducteur c'est aussi un état d'esprit. Je me rappelle qu’à l’adolescence, je lisais en anglais – j'ai lu très tôt dans cette langue parce que ma mère était professeur d'anglais et qu'elle nous disait qu’il valait toujours mieux lire un texte dans la langue originale. Je cherchais dans les dictionnaires les mots que je ne comprenais pas, ou bien je consultais les traductions. Plus tard j’ai appris l’allemand, en autodidacte, de cette manière. Je faisais aussi du latin et du grec, et j’adorais le thème et la version. J’avais déjà le goût de comparer les formes d’expressions de deux langues. Et j’étais sensible à la saveur particulière de la langue originale. Je ne me suis lancée que bien plus tard dans la traduction, après des études de japonais, mais je me rappelle très bien m’être dit alors :  « peut-être que ça remonte loin, ce goût pour la traduction », puisque je me souviens qu’à 14-15 ans, j’étais déjà attentive au nom des traducteurs. 

Zoé Balthus : La qualité des textes d’un auteur varie d’évidence d’une œuvre à l’autre, mais il arrive qu’elle se révèle cruellement inégale aussi selon le traducteur à la manœuvre. Je me faisais cette réflexion récemment en relisant tout Mishima justement. Mais la plupart de ses textes ont été traduits à partir de la traduction anglaise, et ceux-là m’ont frappée par leur médiocrité. Il y a de toute évidence une déperdition de substance, de subtilité, de style etc., cela se sent. A l’exception du Pavillon d'Or livré dans une magnifique traduction du japonais par Marc Mécréant, et encore de deux ou trois autres… 

Corinne Atlan : Mishima lui-même avait imposé la traduction à partir de l’anglais parce qu’il avait toute confiance en ses traducteurs américains, sans compter qu’il y avait très peu de traducteurs français à l’époque. Sa veuve a respecté cette volonté, et la levée de l'interdiction est assez récente. D’ailleurs, une nouvelle traduction de Confessions d’un masque, du japonais par Dominique Palmé, traductrice chevronnée, vient de paraître chez Gallimard. Il existe d’autres belles traductions à partir du japonais, réalisées par Yves-Marie et Brigitte Allioux. Et il y a encore un certain nombre de textes de Mishima inédits en français. 

Zoé Balthus : N’aurais-tu pas aimé traduire cet auteur ?

Corinne Atlan : J'ai toujours adoré Mishima mais à l'époque où j’ai découvert son univers, il était traduit depuis l’anglais, et j’étais étudiante, je n’imaginais même pas devenir traductrice un jour. La question ne se posait pas. Par la suite, l'ai lu ou relu certains de ses textes en japonais. Le lire dans la langue originale est d’une grande richesse, son style précis, complexe, est un régal… Mais je n’ai pas forcément envie de traduire tout ce que je lis, heureusement ! Et puis nous sommes un certain nombre de traducteurs de japonais, avec chacun ses domaines de travail ou de prédilection, on ne s’empare pas comme ça d’un auteur traduit par d’autres. Je me suis tout de même amusée à retraduire une page du Pavillon d'Or dans mon livre Un Automne à Kyôto

Je dois dire aussi que, pour ma part, plutôt que traduire des auteurs déjà très reconnus, je préfère défricher, faire découvrir des univers peu ou pas assez connus à mon goût. Ainsi, je suis la traductrice de Keiichirô Hirano, auteur né en 1975 qui a été récompensé par le prix littéraire Akutagawa à 23 ans et a tout de suite été célébré comme « le nouveau Mishima ». A ses débuts, son écriture recherchée, aux idéogrammes compliqués, tenait beaucoup de Mishima, c’est vrai. Mais il revendique aussi d’autres influences : Mori Ogai, Baudelaire... Aujourd'hui il écrit beaucoup sur les failles de la société japonaise contemporaine. Je ne compte pas m’arrêter de sitôt de le traduire, d’autant que nous sommes devenus amis. Si je devais ne garder qu’un seul auteur à traduire, ce serait lui. Il n’est pas encore reconnu en France à la hauteur de son talent ni de sa notoriété au Japon mais le sera un jour, j’en suis persuadée. 

Zoé Balthus : Tu traduis aussi de la poésie, on l’a vu avec Wagô, des haïkus avec notre ami Zéno Bianu pour Gallimard, mais du théâtre aussi. Cela semble d’ailleurs t’enthousiasmer…

Corinne Atlan : Oui, je m’intéresse beaucoup au théâtre contemporain japonais, je sélectionne et traduis des pièces depuis une quinzaine d’année, notamment pour la Maison Antoine Vitez, où je coordonne le comité de traduction japonais. J’ai traduit récemment pour le Théâtre de la Ville la pièce Blue sheet du dramaturge Norimizu Ameya, qui mérite vraiment d’être connu. J’aime beaucoup son travail, radical, engagé, et j’avais envie de le faire connaître en France depuis que j’avais vu une de ses créations, The shape of me, en 2010 au festival/Tokyo, qui est l’équivalent du festival d’automne à Paris. La version française de Blue sheet a donné lieu à une création radiophonique sur France Culture. La pièce a ensuite été sélectionnée par le festival La Mousson d’Hiver à Pont-à-Mousson, où je suis allée en mars écouter une lecture par les jeunes étudiants du conservatoire régional de Nancy, dirigée par Vincent Goethals, c’était formidable. Et ma traduction va être publiée cette année aux Editions Espace 34, sous le titre Bleu comme le ciel.

Le théâtre japonais contemporain c'est un peu comme la littérature japonaise il y a une trentaine d'années :  tout est à faire. Il y a une foule de dramaturges méconnus. J’ai traduit des textes que je trouve formidables, comme Le Grenier de Yoji Sakate ou Cinq jours en mars de Toshiki Okada, qui ont été publiés aux Solitaires intempestifs, ou encore Ailleurs et maintenant, toujours de Toshiki Okada, publié chez Espace 34, mais cela reste un domaine peu exploré et peu connu. 

En vérité, c'est ce genre de défi qui me plaît dans mon travail de traductrice. Par exemple, je suis heureuse et fière d’avoir fait connaître Haruki Murakami dès les années quatre-vingt-dix. Le traduire m’intéressait parce qu’il y avait une œuvre à défendre, un auteur que j’aimais et voulais faire aimer, il n’était pas apprécié du grand public comme il l’est aujourd’hui. J’aimais beaucoup les œuvres de ses débuts, disons jusqu’à Kafka sur le rivage, que j’ai traduit avec beaucoup de joie et d’enthousiasme, et ses nouvelles aussi. C’est un excellent auteur de nouvelles, j’ai adoré traduire le recueil L’éléphant s’évapore, ou Après le tremblement de terre. Aujourd’hui je préfère traduire du théâtre ou de la poésie plutôt que des romans, parce que j’en écris aussi moi-même (Le Monastère de l’aube, Albin Michel, 2006 ; Le Cavalier au miroir, L’Asiathèque, 2014, NDLR). Après avoir traduit plus de 60 livres, j’ai maintenant envie de me concentrer davantage sur mes propres textes. Parfois on me dit : « Tiens, vous êtes passée à l’écriture ? » Cela m’étonne toujours. Parce que j’ai toujours écrit. Traduire, c’est écrire. Surtout quand il s’agit d’une langue aussi différente du français que le japonais.

Arashiyama, Kyôto (c) Zoé Balthus

Ce sont ces questions de transmission qui me tiennent à cœur avant tout : en traduction, il s’agit de faire passer les nuances, les ambiguïtés, les subtilités du langage, parce que c’est là que se joue le sens profond d’une œuvre. Et dans l’écriture « personnelle », c’est exactement la même chose qui est en jeu. Comment exprimer ce que l’on veut dire, de manière à être vraiment compris ? Que je traduise ou que j’écrive moi-même, j’ai souvent le sentiment de poursuivre quelque chose mais sans l’atteindre tout à fait, quelque chose qui m’échappe sans cesse. L’idée que le langage humain, malgré toute sa richesse, est un outil très incomplet est profondément ancrée en moi. Il me semble que l’on n’arrive jamais à communiquer vraiment, il y a toujours une sorte de décalage entre ce que l’on dit et ce qui est entendu et compris. 

Zoé Balthus : Est-ce donc le malentendu permanent ? 

Corinne Atlan : Oui, je crois qu’il y a un malentendu fondamental. Il serait d’ailleurs intéressant de creuser la vocation de traducteur. Pourquoi devient-on traducteur ? J’ai le sentiment de vouloir dénouer un malentendu - c’est pour cela que je traduis, que j’écris -, mais lequel ? Cela dépend de l’histoire de chacun, on touche à la psychanalyse, là... Quand on traduit, on voudrait arriver à reproduire absolument tout ce que contient l’œuvre originale. Or, on sait très bien qu’on ne le peut pas. Il y a un paradoxe fondamental. Je pense que tout est traduisible et en même temps, rien n’est traduisible : une traduction est toujours fausse, au fond.

Zoé Balthus : Les Italiens disent : « traduire, c’est trahir ». 

Corinne Atlan : Ce n’est pas tout à fait la même chose, car le traducteur n’est pas un traître. Il transmet mais en même temps, une partie de l’original se perd. C’est « la tâche impossible », selon le terme de Paul Ricoeur. Une fois que j'ai traduit ce texte que je voulais absolument faire connaître, ce que j’ai devant moi sur le papier ou sur l’écran n’est plus du tout le texte original. Pour le traduire, j’ai dû détruire l’original, j’en ai fait d’évidence autre chose que ce que c’était, il n’en reste plus rien.

Zoé Balthus : Il ne reste pas « plus rien ». Et tu ne détruis pas non plus. 

Corinne Atlan : Pourtant, à mes yeux il ne reste plus rien de l’original. Mais, bien sûr, je ne détruis pas, c’est une figure de style. Il s’agit au contraire d’une création, d’une re-création, mais j’ai été obligée de déconstruire entièrement l’édifice pour en construire un autre à la place. Le traducteur accomplit un acte de création, c’est indéniable. Mais le texte original n’est plus là : les sonorités du japonais, qui m’ont fait aimer ce texte, il est impossible de les restituer, et toutes les subtilités que j’ai perçues dans ce texte, je ne peux les rendre dans leur intégralité. Je suis amoureuse du japonais, de ses sons, j’adore les kanji, je suis fascinée par ce monde idéographique. Or, je suis obligée de me séparer de tout cela pour pouvoir traduire. Sans compter que les connotations d’un mot sont aussi liées à la culture dont il émane. J’aime aussi profondément la langue française : j'aime lire et écrire en français, mais c’est alors autre chose qui est en jeu. Écrire dans ma langue maternelle est aussi une sorte de traduction, mais concentrée sur un lieu intérieur, d’où émane ce que j’ai à dire, ce à quoi je dois donner forme.

Zoé Balthus : tu écris justement dans Un Automne à Kyôto : « Comment imaginer que la rencontre avec les Japonais et leur culture, puisse ne passer que par ma propre langue, et jamais par la leur ? Même la traduction – je le sais bien – ne peut rendre compte totalement de là d’où elle vient. Quelque chose résiste, qui ne peut être dit. »

Corinne Atlan : Oui, pour moi, le traducteur c'est ça. Un traducteur a conscience qu’il reste quelque chose « qui ne peut être dit », mais cela ne l’empêche pas de traduire, c’est un exercice de substitution. 

Zoé Balthus : Le langage est un outil qui tente de dire l’indicible en somme… Pierre Bergougnioux dit que « c’est écouter le souffle de l’esprit ».

Corinne Atlan : Oui, c’est ce que je ressens aussi. On écrit sans doute pour ça, d’ailleurs, on écrit parce qu’il y a là quelque chose qui a besoin de s’exprimer, mais aussi pour dire quelque chose qui ne peut être entendu, qui se dérobe, quelque chose, oui, de l’ordre de l’indicible, mais que l’on s'efforce de formuler malgré tout. 

C’est pour cela qu’on ne peut rien dire directement, de manière brute. Même ce qui semble brut est travaillé. « Ecrire, c'est mentir vrai », comme disait Louis Aragon. C’est encore plus vrai en poésie, il me semble. Ecrire, c’est autant ôter, effacer, élaguer, que mettre des mots sur les choses. Pour exprimer véritablement ce que l’on a à dire, il faut user de subterfuges. 

Corinne Atlan présentera Un Automne à Kyôto (Albin Michel) vendredi 24 mai, à partir de 19 heures au Gion cafe à Kyôto.